A mon tour de rejoindre ce topic.
Mais plutôt que de faire une analyse générale du scénario de RE5, j’aimerais pour l’instant me concentrer sur les deux figures emblématiques que sont Spencer et Wesker, afin de cerner plus exactement leurs motivations. Tout ce qui suit comporte bien entendu une part d’interprétation personnelle, que je tache néanmoins de justifier au mieux et en me basant sur les éléments du jeu.
En réalité, il s’agit ici pour moi d’établir un bilan par rapport à
mon topic précédent sur le surhomme, où j’avais essayé d’effectuer une mise au point relativement à ces deux personnages, avant que RE5 ne sorte. Je peux maintenant commencer à achever et rectifier les réflexions que j’avais développées, en constatant avec quelque surprise que tout n’est pas à jeter, loin de là. Par rapport aux buts de Wesker et Spencer, j’avais dit que celui-ci agissait selon une finalité naturelle tandis que celui-là agissait plutôt en fonction d’une finalité artificielle, et pour l’essentiel je pense que cette idée peut être maintenue, quoiqu’il me paraît clair que Wesker prenne également la nature comme guide, mais d’une façon bien différente de celle de Spencer.
Résumons d’abord le projet eugéniste de Spencer dans ses grandes lignes : l’évolution de la race humaine vers un stade supérieur (que j’appelle le surhomme) à partir d’un virus conçu sur la base du Progenitor, virus qui doit agir sur la population comme l’agent de la sélection naturelle et qui doit ainsi favoriser les êtres humains génétiquement supérieurs, c’est-à-dire génétiquement adaptés au virus. Dans son nouveau monde utopique, peuplé d’hommes meilleurs et plus parfaits, Spencer serait alors comme un Dieu parmi les hommes, de par son action créatrice semblable à un acte divin.
C’est bien là sans doute le désir profond qui anime Spencer : le désir d’immortalité. En définitive, faire évoluer la race humaine vers un stade supérieur semble être davantage un moyen qu’une fin en soi, l’objectif ultime étant d’accéder à l’immortalité en se divinisant. Cette immortalité convoitée ne doit certainement pas s’entendre au sens propre, comme si Spencer avait cherché à mettre au point un virus qui l’aurait éternellement maintenu en vie, et cela se confirme par le fait qu’il n’a rien de surhumain dans le jeu, qu’il ne s’est pas injecté le moindre virus. Spencer devait plutôt vouloir entrer dans la légende, survivre et devenir immortel dans la mémoire collective, en gravant son nom dans l’histoire, en devenant celui par lequel la destinée de l’humanité se serait trouvée modifiée en vue de l’excellence, en vue d’un bien suprême. Le discours tenu par Sergei à la fin de « Death’s Door » irait dans ce sens, puisque Sergei parle à Spencer des hommes qui ont laissé leur trace dans l’histoire. Sergei devait savoir que c’était là le souhait le plus profond de Spencer : marquer l’histoire comme aucun homme ne l’aurait fait auparavant. Si toute son attention est focalisée sur cet objectif, améliorer effectivement l’humanité assure à Spencer que son nom soit éternellement synonyme d’excellence, de progrès et d’avancée, qu’ainsi il soit pour toujours un modèle à suivre pour l’espèce entière qui le vénérera alors comme un Dieu à travers les âges, et qui du même coup tendra continuellement à se perfectionner encore davantage.
Une ombre vient toutefois obscurcir ce tableau idéal pour Spencer, comme cela nous est expliqué dans le profil de Wesker. Spencer fait en effet l’hypothèse que des individus ne soient pas disposés à partager sa vision du monde, et qu’ainsi même des surhommes du monde nouveau pourraient s’opposer à lui, parce que le virus n’altère ni la personnalité ni les opinions des hôtes qu’il infecte. Si de tels hommes venaient à être trop nombreux, le projet de Spencer pourrait rencontrer des difficultés, si ce n’est être définitivement compromis. En effet, même si la race humaine supérieure est créée, Spencer vise avant tout un changement radical dans les mentalités, il veut que sa vision du monde soit partagée et reçue par tous les hommes, condition sans laquelle Spencer ne pourrait être reconnu et vénéré comme un Dieu. Si jamais des hommes ou surhommes s’opposent à lui, non seulement Spencer n’accédera pas à l’immortalité divine, mais en plus l’humanité ne tendra pas plus à se perfectionner toujours davantage après lui, pas plus qu’actuellement, or Spencer semble vouloir une perfection continue de la race humaine même après sa mort.
Pour remédier à cet inconvénient, le projet Wesker est envisagé : des centaines d’enfants, nés de parents jugés d’intelligence supérieure dans tout le monde entier, sont sélectionnés afin que Spencer lui-même leur inculque les valeurs qui lui semblent essentiels, c’est-à-dire celles qui s’accordent avec sa vision du monde et son projet évolutionniste. Après leur endoctrinement, les enfants sont placés dans des environnements sélectionnés et étroitement surveillés par Umbrella sans même qu’ils en aient conscience, afin que note soit prise de l’évolution et du potentiel de chacun d’eux. Les enfants sont également programmés de telle sorte que leur rapport à Spencer soit particulier, que la figure mystérieuse de Spencer génère chez eux un profond malaise qui les pousse à en savoir davantage sur lui et à le rechercher. Ce dernier point, qui est censé garantir la fidélité des enfants Wesker vis-à-vis de Spencer, au moins en pensée (Albert Wesker lui-même reprendra le projet de Spencer quoiqu’il assassinera le vieil homme), n’est pas essentiel pour comprendre les plans de Spencer en eux-mêmes.
De mon point de vue, le projet Wesker tel qu’il est décrit reste assez flou, incompréhensible voire absurde sous certains rapports, si du moins l’on essaye de mesurer son efficacité.
Tout se passe d’abord comme si Spencer supposait ou était certain que les enfants Wesker allaient s’élever au stade du surhomme. En effet, il est dit explicitement que c’est parce que le virus n’altère ni la personnalité, ni les opinions, ni les connaissances de ses hôtes, qu’il faut façonner la personnalité des hommes nouveaux, sans donc avoir recours à des manipulations génétiques. Il y a là un lien de cause à effet très net :
« If their knowledge, logic, and self-will could not be altered by genetic manipulation, then Spencer himself would instill his values into these children by whatever means he deemed necessary ». Quand il est dit que Wesker a été créé, il ne faut pas s’y tromper, car il est precisé sans equivoque possible que les enfants n’ont pas été créés génétiquement mais qu’ils ont simplement subi l’influence d’une éducation et d’un endoctrinement très stricts, censés remédier à cet éventuel inconvénient que certains hommes du monde nouveau pourraient ne pas partager la vision de Spencer et donc s’opposer à lui. C’est donc évidemment que les enfants Wesker sont destinés à devenir des surhommes, mais voici en mon sens le problème : qu’est-ce qui permet réellement de penser que les enfants Wesker sont aptes à devenir des surhommes, qu’ils sont génétiquement adaptés pour s’élever au stade supérieur de l’évolution ? Certes, on peut facilement supposer que parmi les plusieurs centaines d’enfants sélectionnés, il y en aura bien quelques uns parmi eux qui soient génétiquement supérieurs, mais alors survient un autre problème, qui permet difficilement de saisir l’utilité du projet Wesker : parmi les milliards d’individus restants et qui subiront la sélection naturelle, il y en aura forcément un grand nombre qui risque également d’évoluer, et donc si parmi eux des millions et des millions d’individus n’adhèrent pas à son utopie, Spencer aura beau être entouré de quelques Wesker qui pourraient éventuellement constituer sa garde d’élite et ses disciples chargés de répandre sa doctrine même après lui, il sera toujours grandement menacé d’échec. En fait, je comprends mal comment le projet Wesker peut permettre à Spencer de régler son problème initial, celui-là même qui motivait le projet, je trouve que cela est flou et mal expliqué.
Si l’on se réfère à l’origine et au but du projet, tout laisse néanmoins penser spontanément que le monde nouveau désiré par Spencer serait uniquement composé des Wesker qu’il a choisis, autrement dit que les hommes dignes de s’élever au stade du surhomme seraient les Wesker et les Wesker seuls. Voici ce que dit le document à un moment :
« Spencer was quite please by all of Albert’s actions, and if the other Wesker children were like him, Spencer would have nothing but quality individuals for his new race of humanity ». L’insistance est véritablement portée sur les enfants Wesker, nous laissant penser que si tous ces enfants étaient comme Albert, alors le monde nouveau ne serait peuplé que d’hommes de qualité supérieure. Il y a bien comme une réduction du surhomme à l’ensemble des enfants Wesker, comme si seuls ils comptaient pour Spencer et comme si seuls ils allaient peupler le monde nouveau, les autres hommes n’entrant pas en ligne de compte. Dans la scène du flashback, Spencer commence à parler en ces termes :
« A new superior breed of humans given birth by the Progenitor Virus. The Wesker children were entrusted with endless potential », ce qui semble également souligner un lien étroit, pour ne pas dire exclusif, entre le surhomme et les enfants Wesker, nous indiquant ainsi que la nouvelle race humaine sera uniquement constituée de ces enfants. C’est bien ainsi que Spencer s’imagine les choses à mon avis, et c’est plus cohérent, car si le monde nouveau n’est peuplé que de quelques centaines d’individus qui partagent sa vision, alors ce monde serait tout à fait conforme à l’utopie désirée par Spencer, qui n’aurait plus aucun souci.
Cela étant, un même problème continue à se poser, car si Spencer s’imagine que les enfants Wesker vont seuls devenir des surhommes, on ne voit pas forcément comment il peut réellement se persuader que ce sera le cas. C’est maintenant qu’il faut souligner le fait que les enfants n’ont pas été sélectionnés au hasard, mais en raison d’un certain trait que Spencer estime forcément et qui est en ce quoi réside la supériorité humaine selon lui. Ce critère de sélection est l’intelligence :
« According to this plan, hundreds of children born of parents of superior intellect from all nationalities would be collected ». L’intelligence est ce qui constitue la supériorité humaine, ce par quoi un homme est plus ou moins parfait du point de vue de Spencer, donc s’il est persuadé que les enfants Wesker seuls sont les surhommes potentiels, c’est parce que justement ils sont les meilleurs être humains existants actuellement.
Mais aussi intelligents et géniaux puissent-ils être, lorsqu’on en revient à des choses plus concrètes, l’ADN, les gènes, qu’est-ce que l’intelligence indique sur la supériorité génétique des enfants ? Tout se passe comme si la supériorité intellectuelle de ces enfants, qui fût le critère de sélection, allait nécessairement de pair avec une supériorité génétique, qui garantirait à ces enfants et à ces enfants seuls de s’élever au stade supérieur de l’évolution, mais comment Spencer peut-il être sûr que les choses en soient réellement ainsi ?
Pour que toute son entreprise soit cohérente, il faudrait que Spencer
sache que la supériorité intellectuelle est synonyme de supériorité génétique. Et là, nous avons les moyens de penser une telle chose, nous savons que dans l’univers de RE, il y a des gènes héréditaires de l’intelligence, puisque dans RECV, on apprend qu’Alexander était parvenu à manipuler ces gènes qui conditionnent l’intelligence humaine, pour produire une intelligence artificiellement poussée à son plus haut degré humain. Le document ne date pas d’avant 1969 certes, mais Alexander ne dit pas qu’il vient d’identifier les gènes de l’intelligence en eux-mêmes, il dit simplement qu’il a réussi à les manipuler et qu’il est parvenu à déterminer l’élément de transmission héréditaire de l’intelligence, après de longues années de recherches, donc le fait même qu’il existe un corrélat génique précis de l’intelligence humaine a pu être découvert avant 1969 par Spencer et son équipe, je ne vois rien d’incohérent à cela, bien au contraire. Cette connaissance des gènes de l’intelligence étant logiquement à la portée de Spencer, je me dis que toute la clef de son projet devait consister à produire un virus qui favorise les gènes de l’intelligence, de telle sorte que seuls les individus dotés d’une intelligence extraordinaire soient sélectionnés par le virus qu’il cherche à créer. Du coup, tout devient plus clair je pense : le but de Spencer est de favoriser les êtres intelligents, ceux dotés de gènes qui conditionnent une intelligence supérieure, et donc de faire en sorte que ce soient ces individus-là qui évoluent vers le stade du surhomme.
En conséquence, il ne va pas chercher à produire n’importe quel type de virus, mais un virus qui soit en mesure de s’adapter spécifiquement aux individus dotés des gènes jugés supérieurs, les gènes qui procurent le plus d’intelligence. La sélection naturelle qu’envisage Spencer n’est pas arbitraire, il ne va pas lancer un virus comme ça dans la nature en considérant que les meilleurs survivront. Non, du point de vue de Spencer, je pense que ce ne sont pas ceux qui survivent qui sont les meilleurs, mais bien que ce sont les meilleurs qui survivent, cela parce que Spencer aurait une idée exacte de ce en quoi réside la supériorité humaine : l’intelligence, qui possède un corrélat génique précisément identifié. Le virus idéal pour Spencer doit être un virus qui ne s’adapterait qu’aux plus intelligents des hommes, d’un point de vue génique, autrement dit, si le virus est parfait, alors nécessairement plus le gène de l’intelligence sera développé chez un individu, et plus celui-ci aura de chances de survivre pour accéder au monde nouveau.
Dans cette optique, le virus de Wesker aurait pu être le prototype d’un virus conçu pour être adapté aux gènes de l’intelligence humaine. Mais ce n’est pas le cas en fait, à tout le moins pas seulement, car le but de Spencer est de produire des êtres humains qui soient à la fois supérieurs en intelligence et en force :
« This forced stage of evolution would give the surviving humans increased strength and intelligence ». Le virus est sans doute bien idéalement censé s’adapter d’autant mieux à son hôte que celui-ci est plus intelligent, et c’est pourquoi Spencer a, pour maximiser ses chances de voir les enfants Wesker passer au stade supérieur, sélectionné les enfants les plus intelligents et les plus prometteurs dans les quatre coins du globe, car ainsi il avait la certitude que ses enfants étaient véritablement les surhommes potentiels de son monde utopique. Cela dit, on voit que Spencer utilise bel et bien un virus expérimental sur les Wesker, ce virus même qu’emploie Wesker pour revivre dans RE1. Le virus n’est pas au point, selon toute vraisemblance il n’affecte que les capacités physiques et non l’intelligence en elle-même. Donc soit c’est un semi-échec, soit Spencer voulait procéder en deux temps, en produisant d’une part un virus renforçant la force physique, et d’autre part un virus renforçant l’intelligence, c’est-à-dire qu’il voulait peut-être opérer plusieurs filtrages successifs.
A moins qu’en définitive, il n’estime pas devoir renforcer l’intelligence de ses enfants, estimant qu’elle est déjà de degré supérieure, du moins pour les plus valeureux d’entre eux tel Albert Wesker, et qu’il se concentre ainsi sur l’amélioration des capacités physiques, le plan mental n’étant pas un problème pour lui, du moins pas concernant les Wesker. Le filtrage en fonction de l’intelligence pourrait n’avoir lieu que dans un second temps, et concernant le reste des hommes, et peut-être que Spencer avait prévu d’opérer la sélection de deux manières différentes entre les Wesker et entre le reste de l’humanité. Peut-être même comptait-il, sans doute à l’aide d’un autre virus comme le T par exemple, tout bonnement tuer les autres hommes, détruire activement l’espèce humaine, de façon à ce que seuls les enfants Wesker survivent pour repeupler la terre entière d’hommes supérieurs dans un dernier temps. Cela me paraît possible, et Spencer n’a aucun scrupule à commettre un génocide, mais on ne peut pas dire que ce soit expliqué très clairement si c’est le cas.
Dans tous les cas, le virus de Wesker était expérimental et même instable comme il est dit dans RE5, il s’agissait sans doute d’une première version que Spencer comptait renforcer par la suite, même si de fait, la seule évolution que l’on connaisse de ce virus est le virus Uroboros créé par Wesker lui-même.
Peut-être qu’en raison de cette instabilité et de ce caractère expérimental du virus, Spencer a effectué quelques ajustements de telle sorte que ce virus soit spécifiquement adapté au métabolisme d’Albert. Sinon, Spencer aurait-il pris le risque de voir son enfant de loin le plus prometteur périr à cause d’un virus encore forcément imparfait ? Certains enfants ont pu bénéficier d’une sorte de traitement de faveur, et dans le cas d’Albert, peut-être que Spencer s’est servi du savoir-faire de Birkin pour que le virus soit précisément adapté à Wesker, afin que ses chances de survie soient poussées au maximum. Cela permettrait de rester cohérent avec l’idée que Birkin est bien le créateur du virus spécial, car c’est bien ce que Wesker dit et s’imagine, même si évidemment il n’est pas au courant des machinations de Spencer sur ce point.
Quant à savoir quelle est la nature plus exacte du virus, s’il s’agit d’une mutation spécifique du T ou du G, ou de toute autre chose, il faut se baser sur ce qui est certain, à savoir que le virus est lié au Progenitor, qu’il en est un dérivé ou une mutation. Le plus probable est clairement de penser que le virus Wesker est une voie autre que le T ou le G à partir du Progenitor, voire qu’il n’est simplement qu’une variante du Progenitor travaillée pour être adaptée à des êtres humains en particulier (les Wesker en l’occurrence). Le sérum que doit s’injecter régulièrement Wesker a pour nom PG67A/W, ce qui veut sans nul doute signifier Progenitor67Albert/Wesker, indiquant par-là que le virus spécial n’est pas référé autrement que comme Progenitor.
Difficile de voir ce qu’aurait donné un virus parfait du point de vue de Spencer donc, même si son projet n’en demeure pas moins net et qu’il vise, comme cela est indiqué explicitement, à créer des êtres humains supérieurs physiquement et intellectuellement. Je voulais tout de même faire le lien avec le corrélat génétique de l’intelligence et de son hérédité, tel que cela est décrit très explicitement dans RECV, en montrant que Spencer devant savoir que l’intelligence humaine est entièrement traduite par l’ADN de façon spécifique, cela rendait intelligible certains points de son projet. Sans nul doute, il est primordial pour lui d’avoir des êtres intelligents, et ultimement ou idéalement, je pense que son virus devait favoriser les gènes de l’intelligence, que la sélection à opérer ne devait pas être arbitraire mais en fonction de ce critère précis.
En conclusion donc, Spencer peut bien percevoir l’évolution qu’il envisage comme absolument conforme à la nature, qui serait guidée par une finalité interne selon lui, ce qui collerait avec les hypothèses que j’ai développées la dernière fois. En effet, si ce que je viens d’avancer est correct, le projet de Spencer ne se base pas sur rien, et il vise à développer ce qu’on peut juger comme étant la capacité la plus digne chez l’être humain : son intellect. De fait, historiquement, il existe des courants de pensée évolutionnistes qui placent l’homme au centre de l’évolution, qui considèrent l’homme comme étant ce que la nature aurait produit de plus abouti, et évidemment cette vision va de pair avec une conception de finalité dans la nature qui, petit à petit, évoluerait d’elle-même vers toujours plus de perfection au cours du temps. Le raisonnement est simple en apparence si on le résume : si la nature tend continuellement à se perfectionner à travers l’évolution par sélection naturelle, et si actuellement l’œuvre la plus parfaite de la nature est l’être humain, et plus précisément sa partie la plus digne qui le caractérise en propre, à savoir son intellect, alors c’est suivre en tout point la nature que de perfectionner davantage l’intelligence humaine. La nature d’elle-même veut que l’intellect humain se développe, pour peut-être aboutir à quelque chose de plus digne et de plus parfait dans les temps à venir. En favorisant les êtres les plus intelligents, Spencer doit forcément s’imaginer agir pour le bien du monde et en vue de la nature elle-même, son idéal doit correspondre à un idéal d’achèvement de la nature même, ce pourquoi encore il souhaiterait que les hommes adoptent sa vision pour continuer d’eux-mêmes à se perfectionner toujours davantage même après sa mort.
Quant au caractère divin que s’attribue de droit Spencer, on peut le comprendre facilement et de la manière suivante : Spencer se considèrerait comme divin à partir du moment où il serait parvenu à guider la marche de la nature, qu’il pense avoir pleinement compris. Si Dieu existe, il aurait créé la nature et lui aurait fait suivre un cours en vue d’une perfection finalisée, or la nature est telle, il est donc normal que Spencer prétende au droit d’être Dieu s’il se juge comme ayant la capacité de faire ce que Dieu lui-même a ou aurait fait, à savoir donner son impulsion au cours naturel des choses par le biais de l’évolution. En un autre sens mais qui n’est pas exclusif, Spencer se considérerait comme le Dieu de son nouveau monde tout simplement parce qu’il se considérerait comme le plus intelligent de tous les hommes, pour avoir su comprendre et guider la nature. La nature serait en vue de Dieu lui-même si Dieu existe, car c’est par Dieu que la nature et les choses se meuvent, or dans le cas des hommes, ils sont en vue d’une intelligence supérieure, et si cette intelligence supérieure s’incarne en Spencer, on comprend comment Spencer se considérerait comme un Dieu : c’est lui le surhomme, l’homme d’une intelligence surhumaine, auquel doivent parvenir les autres hommes à travers la sélection qu’il cherche à opérer. Spencer se jugerait comme un surhomme naturel en raison d’une intelligence naturellement supérieure, et par-là même il se jugerait divin puisque transcendant par rapport au reste des hommes. Ce deuxième sens est valable, et il nous conforte dans l’idée que peut-être Spencer jugeait-il ne pas devoir renforcer l’intelligence des Wesker, qu’il pouvait déjà estimer surhumaine pour certains. Il me paraît évident que Spencer juge avoir le droit d’être un Dieu fondamentalement parce qu’il a les moyens d’influencer la marche de la nature comme en serait capable un être divin. Il est amusant de voir enfin comment Spencer est présenté pour nous donner l’impression qu’il est en effet divin, omniscient en cela qu’il sait prévoir tous les agissements de Wesker et qu’il sait comme lire dans son esprit, à la manière d’un Dieu qui sonderait l’âme de sa créature. Mais en soi, Spencer reste un homme malgré tout, imparfait et susceptible d’erreur, et la seule qu’il a commise vis-à-vis de Wesker lui aura coûté la vie.
Reste donc Wesker, le seul véritable surhomme conçu par Spencer. Puisqu’il a été éduqué et endoctriné depuis son plus jeune âge en vue d’acquérir des valeurs et une vision du monde qui s’accordent avec les pensées de Spencer, on peut supposer qu’en effet Wesker possède une vision du monde semblable à la sienne, et donc qu’avec son projet Uroboros il s’imagine perfectionner la nature ou la prendre comme guide. Je pense que des éléments vont dans ce sens, même si manière différente. Le concept de finalité naturelle me paraît moins pertinent dans le cas de Wesker, mais il y a bien l’idée d’une supériorité par nature du surhomme qu’il incarne sur le reste de l’humanité, et donc l’idée que son évolution est marche vers un progrès. Wesker s’estime évidemment être le seul et unique homme naturellement doté d’attributs supérieurs qui le rendent semblables à un Dieu parmi les hommes, par opposition à Spencer qui n’est qu’un homme et par-là même un imposteur :
« The right to be a god ? You ? […] Only a man truly capable of being a god deserves that right ».
Selon Wesker, cette surhumanité lui donne par nature le droit d’être un Dieu créateur d’une nouvelle Genèse. Or cette Genèse doit voir l’avènement d’une nouvelle espèce humaine, mais pas n’importe laquelle, puisqu’en effet le surhomme doit être semblable à Wesker.
Le virus de Wesker, ou plus exactement le Progenitor dont le virus de Wesker n’est vraisemblablement qu’une version remaniée, a dû servir à la création d’Uroboros, ce par quoi l’on comprend vite que Wesker est le premier membre de la nouvelle espèce des surhommes dont il cherche à peupler le monde. A ce titre, personne n’a dû manquer de voir que les yeux de l’homme qui devient le deuxième Uroboros que l’on combat dans le jeu s’altèrent, pendant le moment où il lutte et tente de coexister avec le virus, de sorte à devenir tout à fait semblables aux yeux de Wesker durant un court instant : cela révèle un lien étroit qui existe entre le virus de Wesker et le virus Uroboros, même s’ils ne sont certainement pas complètement identiques. Si c’était la même chose, Wesker n’aurait pas eu besoin de retourner en Afrique pour extraire son virus Uroboros à partir de la fleur Progenitor, cela peut donc laisser penser que le virus par lequel il est infecté n’est adapté qu’à lui, et qu’il a besoin du virus Progenitor de base, susceptible de s’adapter naturellement à tout être humain. Quand je dis naturellement, c’est parce que les chefs de la tribu Ndipaya étaient naturellement immunisés contre le poison de la fleur, mais des individus de ce genre étant sûrement extrêmement rares, Wesker a ensuite senti le besoin d’affaiblir en quelque sorte son virus (et là interviennent les anticorps de Jill). Comme l’on sait pertinemment que Wesker se juge supérieur ou meilleur qu’un homme ordinaire, plus parfait, il est évident qu’il juge l’évolution qu’il souhaite instaurer comme un progrès : le surhomme de Wesker sera en soi, par nature, supérieur à l’homme. La fameuse phrase qui parle de la sélection naturelle sort de la bouche de Wesker lui-même :
« natural selection leaves the survivors stronger and better », elle illustrerait le fait qu’à l’instar de Spencer, et sans doute à cause de son influence, Wesker conçoit l’évolution comme naturellement orientée vers le progrès, qu’il s’imagine que la nature, par le biais d’une sélection naturelle, s’achemine progressivement vers une perfection. A tout le moins, on comprend comment Wesker s’imagine aller dans le sens d’un progrès et d’une purification de la nature par son idéal, comment il croit rendre service à la nature elle-même et par-là même accomplir quelque chose de bien.
Cela dit, on voit tout de même avec évidence que dans le projet Uroboros, ce n’est pas Wesker qui s’adapte à la nature, mais plutôt la nature qui s’adapte à Wesker : on a tous compris, du fait même que son virus spécial soit impliqué, que le monde recherché par Wesker est un monde semblable à lui, peuplé d’êtres qui lui ressembleraient. Wesker veut donc en quelque sorte plier la nature à lui-même, en d’autres termes rendre la nature conforme à sa nature, quoiqu’il estime ne pas forcément aller contre-nature, en ce sens que l’évolution qu’il recherche tendra vers une perfection en soi de la nature elle-même. On peut dire que Wesker s’estimant naturellement supérieur, il juge en même temps que c’est aller dans le sens de la nature que de la rendre semblable à lui. Le fait qu’Uroboros soit un organisme ayant besoin d’assimiler tous les corps qui l’environnent pour s’accroître, se constituer, n’est pas anodin à mon avis, car si Wesker est le seul et unique véritable Uroboros, on peut y voir un symbole nous révélant comment Wesker réduit tout, la nature et le monde entier à soi, pour les faire à son image, semblables à lui, comment donc il a besoin des autres pour combler son vide existentiel ou son identité.
Quand je parle, par anticipation, de combler un vide ou une part de néant, je fais évidemment référence aux propos de Spencer, qui nous révèlent que Wesker a été endoctriné et façonné depuis son plus jeune âge afin de devenir le prototype représentant d’une race supérieure d’hommes. L’air de rien, il semble y prêter attention vu qu'il serre rageusement le poing en bouillonant sans doute intérieurement, cette révélation a donc dû avoir énormément d’impact sur Wesker, qui a compris qu’il fût manipulé pendant toute son existence. Il doit forcément en résulter un vide existentiel profond, un manque d’identité personnelle, car l’identité de Wesker pendant toute sa vie n’a correspondu qu’avec celle que Spencer a bien voulu lui donner dans le cadre de son projet, ce n’est pas la sienne propre. Comme cela aurait été le cas pour n’importe qui, cela a bien dû finir par ronger Wesker d’une façon ou d’une autre : il éprouvait déjà un certain malaise avant de retrouver Spencer et à cause de ce dernier, mais à mon avis, avoir tué le vieil homme n’a pas dû calmer son inquiétude et a dû au contraire le plonger dans une certaine détresse, d’où qu’il perde les pédales et d’où sa haine généralisée envers le genre humain, dont il dit être dégoûté lors du combat final. S’il veut rendre le monde conforme à lui-même, c’est donc peut-être inconsciemment pour combler une sorte de détresse et une nécessité d’ordre psychologique, soit pour dénaturaliser le monde en créant artificiellement des hommes, Wesker lui-même se jugeant trop à part ou non-naturel puisque fabriqué, soit pour rendre naturelle sa propre existence qui ne l’est pas à la base.
Dans les deux cas, on comprend que Wesker aurait besoin d’un monde adapté pour lui et plus naturel pour lui, autrement dit qu’il aurait besoin du monde comme d’un miroir pour se réfléchir et ainsi constituer son identité, son être même. C’est dans cette perspective que le rapport à une finalité artificielle peut être rétabli, car finalement c’est comme si Wesker avait pour objet de constituer la nature elle-même, de la façonner selon son image, même s’il juge que c’est pour le bien de la nature elle-même. Spencer mettrait en marche l’évolution mais selon une finalité qui le précède en soi et qu’il ne fait que comprendre et suivre, tandis que Wesker mettrait en marche l’évolution mais selon un schème artificiel qui est le sien, non pour suivre la nature en soi mais pour l’améliorer selon une visée particulière.
Sous ce rapport, le personnage de Wesker devient ironique : lorsqu’il affirme n’avoir besoin de personne, en réalité il a grand besoin de tout le monde, et du monde entier. Cela dit, il est exact de dire que Wesker n’a pas besoin de l’autre en tant qu’autre, mais de l’autre en tant que soi-même, en tant que ramené à soi, puisque son projet vise en définitive à produire une race d’hommes pareille à lui. La solitude de Wesker ne se comprend que parce qu’il est à part dans le monde actuel, qu’il ne sent aucune communauté réelle de nature avec les autres hommes, qui le répugnent comme il le dit lui-même.
C’est pourquoi il lui est impossible de s’allier véritablement avec Excella, et d’ailleurs quand celle-ci tente un rapprochement sensuel avec lui, il a l’air agacé voire complètement dégoûté, ce qui s’accorde avec ses propos. Il est amusant de voir qu’Excella se sent trahie par Wesker lorsque celui-ci lui injecte l’Uroboros, alors qu’en toute rigueur, il n’a fait que lui donner la chance d’accomplir son souhait. En effet, c’est Excella elle-même qui déclare vouloir devenir la partenaire de Wesker, en pensant qu’il aura besoin d’une alliée convenable, et en s’imaginant qu’elle a fait ses preuves. Or évidemment, pour Wesker il n’y aurait de partenaire adapté que celui qui partagerait avec lui une communauté de nature. Si donc Excella désire réellement s’allier à Wesker pour changer le monde, elle devrait savoir qu’elle n’a qu’un seul moyen pour faire ses preuves : passer le « test » Uroboros afin de se hausser jusqu’au stade du surhomme. La manière dont Excella termine tristement était tout ce qu’il y a de plus prévisible, elle qui n’avait que mépris face aux êtres jugés inférieurs, indignes et inadaptés à l’Uroboros, et Wesker n’allait pas s’encombrer d’une personne attachée à l’humanité qu’il renie.
On devine également pourquoi l’accent est constamment placé sur la coopération ou l’association dans le jeu, pourquoi elle en est pour ainsi dire le thème central. Wesker n’a aucun partenaire, il ne fait alliance avec personne, parce qu’il n’est pas capable de s’ouvrir à l’altérité comme telle, qu’il ramène constamment les autres à soi et qu’il les voit au mieux comme des moyens pour servir ses ambitions, ce qui contraste avec l’abnégation dont font preuve les héros pour s’entraider et réaliser leurs objectifs communs, et à terme leur abnégation envers le genre humain qu’ils tentent de préserver. D’ailleurs, le fait que Jill soit la cause principale qui motive Chris peut tout aussi bien s’entendre comme une ouverture à l’altérité : à travers Jill c’est la figure de l’autre qui tient lieu de cause finale pour les héros, et se joue donc l’ouverture à l’autre contre l’enfermement en soi, ou encore l’association à l’autre contre l’assimilation de l’autre. En définitive, Wesker ne meurt et n’échoue que parce qu’il est seul et incapable de reconnaître la valeur de l’autre en tant qu’autre.
Et pourtant, il y a tout de même un homme dont Wesker a clairement besoin, un homme dont il cherche en quelque sorte l’approbation et auquel il se raccroche pendant tout le long de l’aventure. Bien sûr, il s’agit de Chris, ce Chris dont visiblement Wesker aurait parlé à ses « associés » vu qu’Excella et même Irving le connaissent par son intermédiaire. On sait déjà que Wesker voue une certaine admiration envers Chris, vis-à-vis de ses capacités de survie extraordinaires, même s’il lui voue tout à la fois une haine obsessionnelle.
Ce qui a retenu mon attention ici est d’avoir le sentiment que Wesker cherche constamment à faire comprendre à Chris ses projets, on a l’impression qu’il cherche à ce que Chris le comprenne, à ce qu’il saisisse les raisons ou les motivations de ses agissements. Il lui dit qu’il comprendra bientôt après avoir eu un aperçu de son nouveau monde, il donne des explications et des détails sur son plan et sa vision du monde en plein combat, et il s’énerve même carrément du fait que Chris ne comprenne pas, du fait que Chris ne le prenne pour rien d’autre qu’un malade, lui demandant pourquoi il pense que le monde actuel devrait être préservé, etc.
J’ai tendance à interpréter cette obsession par rapport à une scène qui m’a assez marqué : le moment qui suit le flashback entre Spencer et Wesker. A ce moment là, on observe Wesker comme s’il était en proie au doute, comme s’il s’interrogeait sur le bien-fondé de son prétendu droit divin, lorsqu’il dit pensivement :
« The right… with Uroboros, I have that right ». Comme on l’a développé, Wesker a pour dessein de rendre la nature semblable à lui, et par ce biais il estime faire progresser l’humanité et contribuer à un idéal de perfection de la nature elle-même : par la médiation du virus Uroboros, Wesker s’en remet à la nature en lui permettant d’opérer une sélection en vue de choisir ceux qui sont les mieux dotés, afin qu’elle se perfectionne elle-même. S’il peut douter par intermittences du bien-fondé en soi ou naturel de cette entreprise, il se rassure en pensant qu’Uroboros lui donne le droit naturel d’être Dieu. C’est en quelque sorte la logique du droit du plus fort : j’ai le pouvoir de faire donc j’ai le droit de faire, en l’occurrence Wesker a les moyens de faire évoluer la nature à son image, par l’Uroboros, c’est donc que la nature lui a donné ce droit. Quoique de façon tordue, Wesker est persuadé d’agir pour le bien, en allant dans le sens d’une nature qu’il perfectionne. Or selon Wesker, Chris doit représenter l’homme de bien par excellence. Le bien étant semblable au bien, l’homme de bien doit être en mesure de reconnaître et de comprendre ce qui est bien, donc pour s’assurer d’être dans la bonne voie, Wesker doit inconsciemment chercher l’approbation de Chris. Si Chris est au moins capable de reconnaître logiquement les raisons qui motivent Wesker, alors celui-ci pensera avoir raison en effet, il considérera définitivement toute son entreprise comme étant légitime. La rage de Wesker à faire comprendre Chris s’accentue à mesure qu’il constate que ce dernier le prend pour un fou, car même s’il ne comprend rien, Wesker doit bien se persuader que Chris est toujours en droit capable de comprendre.
Je suis sûr qu’il doit y avoir moyen d’interpréter la relation entre les deux hommes plus que comme une simple relation conflictuelle, qu’elle est un tantinet plus profonde du point de vue de Wesker et que la solitude radicale de ce dernier doit être nuancée du fait même qu’il en appellerait constamment à Chris. A travers Chris, seul homme dont aurait réellement besoin Wesker, celui-ci cherche en quelque sorte le bien, afin d’assurer pleinement son identité. De cette manière il sent instinctivement et désespérément qu’il a tout de même besoin de l’autre pour se constituer.
D’une manière générale, j’ai l’impression bien sûr qu’on veut nous montrer Wesker comme quelqu’un de profondément seul et même de désespéré, à cause de son origine et de son endoctrinement, on nous le montre comme une sorte de gamin perdu qu’on a manipulé depuis sa naissance et qui ne cherche finalement qu’à se constituer, qu’à retrouver sa nature propre qui lui aurait été enlevé. Cet aspect plus pathétique ou tragique du personnage le rend pitoyable au sens propre, et les scénaristes veulent sans doute nous faire voir par-là qu’il n’y a pas d’homme qui soit fondamentalement ou radicalement méchant.
Soit, cela doit casser le mythe pour beaucoup de fans, mais désormais la vérité est qu’à travers Wesker, c’est donc l’ombre de Spencer qui plane sur toute la série, et Wesker n’étant lui-même rien d’autre qu’un avatar de Spencer, en tant qu’il a subi son influence jusqu’au bout en menant son projet à terme, en tant qu’après avoir tué Spencer il devient en quelque sorte Spencer lui-même, on peut bel et bien affirmer que le fondateur d’Umbrella reste l’unique et véritable méchant de la série.